Mes meilleurs souvenirs

Voilà un titre racoleur et surprenant dans le récit d'une P1 car oui, si tout est bon dans le cochon, tout n'est pas mauvais dans le goret. La matinée de cours faisait partie de ces agréables moments ou tu te sentais revivre. On échange, on converse, on joue, on s'insulte, on se tabasse. Quand t'arrives dans l'amphi en retard comme d'habitude, tu sens le regard pesant et plein de mépris du peuple se poser sur toi. "Lui, il va rater" murmure un des nombreux privilégiés de l'amphi à s'être vu doter à sa naissance de dons divinatoires. La première fois que j'étais arrivé en retard, j'étais tellement gêné et suintant de stress que je me suis vite dépêché de poser mes fesses collantes sur un innocent emplacement vide, loin de tout le monde, "Ouf !". C'était sans compter que posé en face d'un mur qui te cache la moitié de l'écran, ça allait être relativement difficile de suivre le cours. Depuis, je m'étais aguerri et gardais mon sang-froid même si comme chaque fois en me dirigeant vers ma place fétiche je craignais fébrilement les railleries de mes camarades carrés me demandant "gentillement" de m'asseoir.

"Aaaaa, AAAAAAAAA, AAAAAAASSIS-LA PUTAIN !"

C'était le bon vieux temps ! Imaginez-vous bien que l'amphi est réparti en différents bloc de chaises. Le bloc du milieu, en face de l'écran constitue celui des "Polards" avec en première ligne, de vieux séniles qui ont repris leurs études, peut-être pour soutenir leur arrière petit fils, et qui nous gratifient de temps à autres d'un doigt d'honneur tout poilu en guise de désapprobation de la gêne occasionnée par notre vacarme. On a également les blocs latéraux qui ne présentent aucune caractéristique particulière si bien qu'ils ne sont la cible d'aucun jet de projectiles. Et enfin, le bloc du fond, celui classiquement des "Carrés". Mais pas que. 

Après cinq mois d'infiltration, ils ne nous avaient toujours pas démasqués et on s'adonnait à se faire passer pour l'un d'entre eux. On aimait jouer au morpion, au puissance 4 ; on adorait faire des avions toujours plus sophistiqués les uns que les autres et viser la corbeille si bien que la seule fois que c'est arrivé, une ovation s'est déclenchée dans tout l'amphi pour féliciter notre pair qui, ému, déclara dans son discours que c'était sa plus grande fierté depuis son premier baiser. On se raccroche à ce qu'on peut. On participait gaiement aux réflexes appris durant la PINS et fredonnait même quelques paillardes bien que l'on fut vite arrêté dans notre élan par les appariteurs, sorte de videurs d'amphi. Accessoirement, on griffonnait quelques notes sur nos polys. Parmi les sombres crétins de l'amphi dont je faisais joyeusement parti, t'en avais toujours un plus con que nous tous pour balancer le classique : "- Vous vous rendez compte que dans cet amphi, une personne sur dix est dans le NC soit à peu près 15 personnes, c'est fou nan ?  - Wow mais t'as fait le calcul de tête ou juste Maths Sup, Maths spé, Einstein ?". Il l'avait bien cherché. Balancer des projectiles était une activité fort puérile mais qui poussait toujours à bout certains bizuths. Une fois, une fille visiblement sur les nerfs reçut un avion en pleine poire. Elle le ramassa, se retourna vers nous pleine de défi, déchira l'airbus A380 (RIP) et nous gueula un : "Je vous déteste tous bande de cons, j'espère que vous allez rater !".

Ouch. Un moment de silence gêné s'installa. En une fraction de seconde, elle aurait voulu ravaler le parjure qui avait échappé à sa gorge, thèse appuyée par les regards terrifiés que les bizuths de la Terre du Milieu lui jetèrent. Son voisinage se clairsema. Elle se rassit mais le mal était fait. Une bronca se souleva autour de moi, des cris d'animaux, des huées annonçant la couleur de la vengeance. Des avions se dirigèrent à vive allure sur elle dans un premier temps, accompagnés de noms de poisson et suivis par des boulettes de papier remplies de haine. Pis, des compas et des ciseaux étaient parfois aperçus en orbite. Tout le reste de la matinée, elle s'était transformée en aimant à papiers, insultes et autres OVNI. On ne la revit plus. 

Le pire dans toute cette histoire, c'est que sa réaction était compréhensible étant le fruit de la pression, de la fatigue, de l'exaspération mais ne valait-il mieux pas changer d'amphi en silence ? Après cet incident, la fac sépara les bizuths des carrés dans les amphis et le calme refit surface. Après cet incident, mes meilleurs souvenirs de P1 étaient malgré tout dans mon rétroviseur. A tout jamais.