Article assez personnel. Vous vous reconnaîtrez peut-être sur certains points, peut-être pas, un jour peut-être.
On était à un mois et demi de l'issue finale mais je Le sentais, ça poussait au fond de mes tripes. Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, Il s'est nourri de mes doutes, de ma ténacité, de mes victoires comme de mes défaites. Plus le temps avançait, plus Il apparut comme une évidence. Allait-Il être beau ? Ou serait-Il moche ? Nul ne le savait encore. Le ciel se gâtait, la fatigue me rattrapait à grands pas alors je m'allongeai sur mon pieu, fermai les yeux et pensai aux raisons pour lesquelles j'avais choisi de Le concevoir. Une écho de routine en somme.
L'hôpital s'est offert à moi cinq fois en tant que patient dans ma courte existence et de mes souvenirs j'ai toujours adoré son odeur, une sorte de compromis bien senti entre les divers produits désinfectants, la pharmacie, le linge neuf et la maladie. En outre, il m'est arrivé de me faire anesthésier de façon générale par deux fois et j'étais surexcité à chaque fois pendant que ma mère enfilait chapelet sur chapelet à côté. Bref, je n'en ai jamais eu peur ; pis, ce monde à part m'attirait de par ses règles et lois à part et son côté sacré, presque religieux. Plus sérieusement, je ne peux occulter Grey's Anatomy que j'aime tailler sans las aucun mais qui fut la série phare de ma génération ouvrant une vue fantaisiste mais que l'on voulait croire réaliste sur le monde hospitalier. "La classe, ces chir", je me disais. "Orgie tout le temps", je rajoutais, affalé sur mon canapé les yeux exorbitants, un paquet de chips à la main. En seconde, ça me trottait dans la tête mais ça n'a jamais été une vocation. De toute façon, je ne sais pas ce qu'est la vocation.
Mais, au fur et à mesure que le lycée passait, tout lycéen rêveur est animé par la volonté de faire de grandes choses, de faire bouger les lignes, de créer l'exploit, de changer la situation mais je n'étais pas fou : je ne serai jamais milliardaire pour investir dans des causes qui me tiennent à cœur, jamais président, jamais Bill Gates, jamais qatari, jamais au sommet.
Alors tu ne t'imagines plus éradiquer la faim dans le monde, réduire la pauvreté, sauver le tigre du Bengale, fermer le trou dans l'ozone, réduire le prix indécent du menu best of, instaurer la paix ou je ne sais quelle autre frasque ubuesque. A vrai dire, même et surtout une fois lancé dans les études de médecine, tu ne t'imagines même plus trouver un jour le remède miracle contre ce foutu cancer, prévenir à temps une crise cardiaque, remporter le prix Nobel de médecine ou devenir le nouveau Dr.House. Et les médecins, eux, ne s'imaginent même plus sauver des vies car ils savent qu'ils ne font que la prolonger tant bien que mal. Et ce n'est pas par manque d'ambition. Cependant, je voulais quand même être utile à la société et plus particulièrement aux gens qui la composent.
Je me rends compte en grandissant que la drogue dans ma vie ce n'est pas un shoot de grand progrès car c'est si rare à trouver sur le marché, mais seulement sniffer des rails de petits progrès au quotidien. Une conversation pour tirer de son ennui quotidien un patient, un sourire arraché à un autre via un instant de complicité, un "Merci" sincère parce que t'as aidé celui d'en face à se lever ; bien plus tard, un bon diagnostic, un traitement qui fonctionne, un patient qui quitte l'hôpital. Rien de fou, rien qui va révolutionner la face de la terre ni te faire paraître en une du Times et pourtant un bien immense à celui qui peut en profiter au plus près : le personnel soignant. Cependant, il n'y a pas que médecine qui pouvait me fournir ce genre de drogues. Ingénieur, professeur, avocat, assistant social sont également de bons fournisseurs tant ils améliorent aussi le confort de vie des gens au jour le jour. Mais alors, qu'est-ce qui démarquerait la médecine de ces professions ?
Et si on emploie cette expression pompeuse, c'est très rarement pour le beau que suscite la technique médicale mais plus souvent pour les émotions uniques que la médecine provoque en nous. Si on réfléchit bien, entendre parler ou même voir à la télévision de jeunes africains mourir de faim ne nous laisse certes pas indifférents car on a tous une part d'humanité en nous mais mis à part peut-être une grimace de compassion, on ne ressentira guère grand chose au fond de nos tripes. Pourquoi ? Parce que l'on habite en France et qu'on se dit "Tous ces malheurs sont loin de nous" "De toute façon, je ne peux rien y faire" et c'est surement vrai. Même lorsque l'on parle de cancer mais que personne dans votre famille n'en a un, on trouve ça "horrible" mais bon, voilà quoi. "Voir", "entendre parler" au loin de malheurs, ça ne suffit pas pour créer des émotions fortes. Il faut mettre en éveil tous nos sens en s'immisçant à proximité du pire d'entre eux : la mort. Alors non, pas besoin d'aller en Afrique pour la trouver ni dans un cimetière, il suffit d'aller en oncologie à l'hôpital pour ressentir l'ambiance qui pèse sur nos épaules le long des couloirs, le silence oppressant notre thorax, la détresse des patients "du fond" empoignant notre cœur et constater notre petitesse devant elle. On en rentre le soir bouleversé, les chevilles dégonflées avec ce sentiment coupable d'aimer un peu plus sa vie que ce matin. Rester au contact du pire des malheurs n'est-elle pas une des meilleures façons de garder les pieds sur terre et la tête sur les épaules ?
Heureusement, tous les services ne côtoient pas au quotidien la mort.
Les métiers (para-)médicaux ressemblent presque tous à deux vecteurs opposés. L'un part du patient pour nous interpeller, créer des émotions en éveillant notre humanité et notre humilité. L'autre part de nous vers le patient pour essayer d'améliorer sa situation. La médecine en général est donc vecteur de progrès et d'émotions. C'est ce qui en fait une science et un art à mes yeux.
Alors ouai, quand on m'a vendu le WEP de P2 et son orgie de bienvenue, les soirées médecine, les nanas, j'ai été plus qu'émoustillé mais ça ne vous tient pas neuf mois en haleine. D'ailleurs, je ne pense pas que ça vous fasse tenir une dizaine d'années d'études éprouvantes. Mais c'est quoi neuf mois ou dix ans dans une vie épanouie ?
La pluie commençant à s'abattre contre ma vitre m'interrompit dans mes songes. Je me relevai et me rassis auprès de ma belle et tendre. "Qu'elle est mignonne quand elle dort, ma pharmacologie". Dix minutes de temps perdu à prospecter si j'avais les épaules pour L'assumer. Sombre crétin. Encore deux mois et je vais accoucher de Mon Avenir.
On était à un mois et demi de l'issue finale mais je Le sentais, ça poussait au fond de mes tripes. Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, Il s'est nourri de mes doutes, de ma ténacité, de mes victoires comme de mes défaites. Plus le temps avançait, plus Il apparut comme une évidence. Allait-Il être beau ? Ou serait-Il moche ? Nul ne le savait encore. Le ciel se gâtait, la fatigue me rattrapait à grands pas alors je m'allongeai sur mon pieu, fermai les yeux et pensai aux raisons pour lesquelles j'avais choisi de Le concevoir. Une écho de routine en somme.
L'hôpital s'est offert à moi cinq fois en tant que patient dans ma courte existence et de mes souvenirs j'ai toujours adoré son odeur, une sorte de compromis bien senti entre les divers produits désinfectants, la pharmacie, le linge neuf et la maladie. En outre, il m'est arrivé de me faire anesthésier de façon générale par deux fois et j'étais surexcité à chaque fois pendant que ma mère enfilait chapelet sur chapelet à côté. Bref, je n'en ai jamais eu peur ; pis, ce monde à part m'attirait de par ses règles et lois à part et son côté sacré, presque religieux. Plus sérieusement, je ne peux occulter Grey's Anatomy que j'aime tailler sans las aucun mais qui fut la série phare de ma génération ouvrant une vue fantaisiste mais que l'on voulait croire réaliste sur le monde hospitalier. "La classe, ces chir", je me disais. "Orgie tout le temps", je rajoutais, affalé sur mon canapé les yeux exorbitants, un paquet de chips à la main. En seconde, ça me trottait dans la tête mais ça n'a jamais été une vocation. De toute façon, je ne sais pas ce qu'est la vocation.
Mais, au fur et à mesure que le lycée passait, tout lycéen rêveur est animé par la volonté de faire de grandes choses, de faire bouger les lignes, de créer l'exploit, de changer la situation mais je n'étais pas fou : je ne serai jamais milliardaire pour investir dans des causes qui me tiennent à cœur, jamais président, jamais Bill Gates, jamais qatari, jamais au sommet.
Alors tu ne t'imagines plus éradiquer la faim dans le monde, réduire la pauvreté, sauver le tigre du Bengale, fermer le trou dans l'ozone, réduire le prix indécent du menu best of, instaurer la paix ou je ne sais quelle autre frasque ubuesque. A vrai dire, même et surtout une fois lancé dans les études de médecine, tu ne t'imagines même plus trouver un jour le remède miracle contre ce foutu cancer, prévenir à temps une crise cardiaque, remporter le prix Nobel de médecine ou devenir le nouveau Dr.House. Et les médecins, eux, ne s'imaginent même plus sauver des vies car ils savent qu'ils ne font que la prolonger tant bien que mal. Et ce n'est pas par manque d'ambition. Cependant, je voulais quand même être utile à la société et plus particulièrement aux gens qui la composent.
Je me rends compte en grandissant que la drogue dans ma vie ce n'est pas un shoot de grand progrès car c'est si rare à trouver sur le marché, mais seulement sniffer des rails de petits progrès au quotidien. Une conversation pour tirer de son ennui quotidien un patient, un sourire arraché à un autre via un instant de complicité, un "Merci" sincère parce que t'as aidé celui d'en face à se lever ; bien plus tard, un bon diagnostic, un traitement qui fonctionne, un patient qui quitte l'hôpital. Rien de fou, rien qui va révolutionner la face de la terre ni te faire paraître en une du Times et pourtant un bien immense à celui qui peut en profiter au plus près : le personnel soignant. Cependant, il n'y a pas que médecine qui pouvait me fournir ce genre de drogues. Ingénieur, professeur, avocat, assistant social sont également de bons fournisseurs tant ils améliorent aussi le confort de vie des gens au jour le jour. Mais alors, qu'est-ce qui démarquerait la médecine de ces professions ?
"La médecine est un art"
Et si on emploie cette expression pompeuse, c'est très rarement pour le beau que suscite la technique médicale mais plus souvent pour les émotions uniques que la médecine provoque en nous. Si on réfléchit bien, entendre parler ou même voir à la télévision de jeunes africains mourir de faim ne nous laisse certes pas indifférents car on a tous une part d'humanité en nous mais mis à part peut-être une grimace de compassion, on ne ressentira guère grand chose au fond de nos tripes. Pourquoi ? Parce que l'on habite en France et qu'on se dit "Tous ces malheurs sont loin de nous" "De toute façon, je ne peux rien y faire" et c'est surement vrai. Même lorsque l'on parle de cancer mais que personne dans votre famille n'en a un, on trouve ça "horrible" mais bon, voilà quoi. "Voir", "entendre parler" au loin de malheurs, ça ne suffit pas pour créer des émotions fortes. Il faut mettre en éveil tous nos sens en s'immisçant à proximité du pire d'entre eux : la mort. Alors non, pas besoin d'aller en Afrique pour la trouver ni dans un cimetière, il suffit d'aller en oncologie à l'hôpital pour ressentir l'ambiance qui pèse sur nos épaules le long des couloirs, le silence oppressant notre thorax, la détresse des patients "du fond" empoignant notre cœur et constater notre petitesse devant elle. On en rentre le soir bouleversé, les chevilles dégonflées avec ce sentiment coupable d'aimer un peu plus sa vie que ce matin. Rester au contact du pire des malheurs n'est-elle pas une des meilleures façons de garder les pieds sur terre et la tête sur les épaules ?
Heureusement, tous les services ne côtoient pas au quotidien la mort.
Les métiers (para-)médicaux ressemblent presque tous à deux vecteurs opposés. L'un part du patient pour nous interpeller, créer des émotions en éveillant notre humanité et notre humilité. L'autre part de nous vers le patient pour essayer d'améliorer sa situation. La médecine en général est donc vecteur de progrès et d'émotions. C'est ce qui en fait une science et un art à mes yeux.
Alors ouai, quand on m'a vendu le WEP de P2 et son orgie de bienvenue, les soirées médecine, les nanas, j'ai été plus qu'émoustillé mais ça ne vous tient pas neuf mois en haleine. D'ailleurs, je ne pense pas que ça vous fasse tenir une dizaine d'années d'études éprouvantes. Mais c'est quoi neuf mois ou dix ans dans une vie épanouie ?
La pluie commençant à s'abattre contre ma vitre m'interrompit dans mes songes. Je me relevai et me rassis auprès de ma belle et tendre. "Qu'elle est mignonne quand elle dort, ma pharmacologie". Dix minutes de temps perdu à prospecter si j'avais les épaules pour L'assumer. Sombre crétin. Encore deux mois et je vais accoucher de Mon Avenir.
Très bel article, bouleversant. Ça me fait plaisir de rencontrer quelqu'un comme moi même si je ne suis qu'au lycée :)
RépondreSupprimerMerci et bonne continuation à toi ! :)
SupprimerUn article autant magnifique que celui qui l'a écrit. Merci pour ce que tu dégages et ce que tu es. Je ne te connais pas et pourtant quelle belle personne tu es!
RépondreSupprimerTon commentaire m'a très ému, ça me va vraiment droit au cœur !
Supprimerbouleversant, après deux lectures ont vis le truc... C'est dingue.
RépondreSupprimerJe vois que je ne suis pas la seule à vouloir te laisser un ptit mot après la lecture de ton récit ;)
RépondreSupprimerJe rentre en P1 en septembre et je suis sûre qu'à chaque étape de mon année je penserai aux tiennes! Tu viens de m'offrir un beau moment de "dé-stress" dans ma période de "p*tain, je m'en vais au front" que tu as toi-même connu je vois.
Inutile mais je te le dis quand meme: pendant tout le temps où je t'ai lu je t'ai imaginé comme un pote à moi qui a un également un bog (critique ciné toussa..) avec un peu le même humour alors je sais pas à quoi tu ressembles mais pour moi t'es un ptit brun, l'air coquin, toujours prompt à sortir la punchline adaptée!
Bref! Merci pour ce que tu as écrit, ce fut fort plaisant à lire!
Et bonne continuation !
Salut !
SupprimerC'est bien le but de vous détresser avec cette partie du blog ! On est tous humain et la P1 est quand même la première grosse étape de notre vie.
Haha, pour ce qui est du jeu des devinettes, je n'oserais pas dire que tu as juste sur toute la ligne donc je dirai deux sur trois histoire de conserver mon anonymat ! A vous de choisir lesquels messieurs dames, game on !
Merci pour ce commentaire, c'est motivant et courage à toi, ça vaut le coup ++++ !!
Franchement, cet article m'a été d'un grande aide.
RépondreSupprimerMoi qui suis une petite bizuth assez stressée par la proximité de ce premier concours.. J'ai vraiment eu le moral à zéro avant de lire tes posts. Mais ton humour et ta façon d'écrire m'a donné le sourire et j'en ai même rit jusqu'à en être prise pour une folle à la maison ! o/
Ça m'a redonné la pêche et malgré l'heure tardive j'ai une fougue envie de retrouver ma Physique d'amour et de lui montrer qui est le patron ! -ironie on repassera !-
Bien sûre, je trouvais ça indigne de ne pas te montrer ma gratitude, alors voilà pourquoi tu lis ces lignes: MERCI BEAUCOUP ! <3 Je suis vraiment contente pour toi et pour ta réussite dans la médecine ! (je te pardonne même tes petites pulsions play et autres distractions ! -trop de bonté en moi- ~)
Merci pour ton commentaire ! Novembre est un mois bien déprimant en PACES et si ça peut te rassurer, je n'ai par la suite plus jamais ressenti autant de spleen qu'à cette période de ma vie ! Je souhaite que ton histoire d'amour avec la PACES fonctionne autant que ce le fut pour moi haha ! Courage !!!
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