D E R N I E R E M E N T . . .

CZECH-LIST

CHECK LIST. Sous ce nom barbare et mystérieux se cachaient en réalité nos premiers stages cliniques au chevet du patient. A Strasbourg, à pa...

CZECH-LIST

CHECK LIST. Sous ce nom barbare et mystérieux se cachaient en réalité nos premiers stages cliniques au chevet du patient. A Strasbourg, à partir du second semestre de P2, on avait deux demi-journées hebdomadaires de stage, chacune dans un service différent du CHU. J'étais tombé en oncologie - oui, encore... - et en anesthésie-réanimation, ambiance garantie...

 Le chef de clinique d'onco-hématologie a l'air sympa même si à l'évidence il ne s'est pas lavé les cheveux comme en témoignent les pellicules éparses sur sa touffe de cheveux bruns. Il nous rappelle les principes de base d'un bon interrogatoire et veut que l'on n'omette rien. "Aucun détail n'est inutile" nous répète-t-il. Tu vas être servi mon pote. Enfin, docteur. Il nous distribue ensuite notre première blouse de médecin. On fait les beaux, certains ne la boutonnent pas ; pire, d'autres entourent leur cou de leur stéthoscope fraîchement déballé et summum de l'hérésie, quelqu'un a la bonne idée de prendre une photo de groupe histoire de se rendre compte que oui, ça se voit que nos blouses sont deux tailles trop grandes... Dr Almost-Shepherd.

On est cinq et il nous lâche chacun dans une chambre seul avec un patient. Olala, roulements de tambours, mains moites. Au fur et à mesure qu'on avale des bouquins en médecine, on se rend compte qu'il existe souvent un - grand - écart entre la théorie et la réalité : c'est ce qui fait le sel de la médecine selon certains. Disons donc que mon premier examen clinique fut fort salé. Je rentre dans la chambre et rencontre Mr P. avec sa femme à ses côtés. Je me présente brièvement puis débute l'interrogatoire : nom ? prénom ? date et lieu de naissance ? adresse ? Appartement ou maison ? McDo ou Quick ? numéro de tel ? nom du médecin traitant ? chien/chat/enfant/mari/femme ? Plutôt thé ou café ? Bref je récite mon cours de sémiologie par cœur avant la première question utile : "Au fait, pour quelle raison êtes-vous hospitalisé ?" et là il me répond "Ah, mais je viens pour ma deuxième cure de chimiothérapie pour ma leucémie". Dans mes rêves.

Car dans la vraie vie, cette question cruciale ouvre la porte à une réponse ouverte pouvant aller de la simple ouverture du frigo à celle d'un barrage avec le torrent de paroles qui s'en suit. Evidemment, pour ma première, j'ai été quelque peu éclaboussé. Et plutôt deux fois qu'une. Le patient commence par me raconter son histoire de A à Z pendant que je recopie frénétiquement sur mon calepin le moindre détail de ses péripéties. De temps à autre, je l’interromps pour remettre en place le cadre ainsi que pour confirmer ses dires capitaux : "Donc si j'ai bien compris, votre sœur a bien un labrador ? Parce que j'avais noté plus haut qu'il s'agissait d'un golden retriever... au temps pour moi, vous pouvez poursuivre" . Mais c'est évidemment sans compter sur l'aide de sa femme qui tient absolument à donner sa propre version des faits ! Quarante minutes plus tard, je connaissais alors très exactement l'emplacement de ses dernières vacances mais avais du mal à percuter le mot "leucémie" qu'il répétait sans cesse. Tant pis, place à l'examen physique. Avec quelques patients, j'ai déjà eu le droit au classique "Pouvez-vous vous mettre sur le dos svp ?". Il se couche à plat ventre. "Euh, l'autre dos ?".

Je commence par méthodiquement palper les pouls. Ensuite, je lui fais un examen neurologique sommaire en le remettant debout. Je l’assois pour lui taper les réflexes, le recouche pour lui palper le ventre, le rassois pour lui palper la thyroïde - oui, oui... - , le remet debout car j'ai oublié de rechercher un déséquilibre à l'examen neuro. "On fait du sport avec vous !" s'exclame-t-il en rigolant. Puis vient le stétho-time. A cette époque, je savais que le cœur avait deux bruits - BOUM et TAC - et qu'on pouvait des fois entendre des souffles mais ça n'allait pas plus loin. Malheureusement, dans la vraie vie, il arrive que l'on entendre à peine le cœur battre à cause du combo "corpulence du patient + inexpérience du carabin". "- Alors doc, mon cœur va bien n'est-ce pas ?  - Ah, euh, surement, surement..." avec un sourire gêné mais respirant la fausse confiance en soi, tout de même.

Alors je vous laisse imaginer le carnage que c'était en anesthésie sachant que l'on était vingt - oui - étudiants en stage en même temps. On se retrouvait à trois voire quatre par patient et ça donnait lieu à quelques scènes cocasses comme celle-ci : "Bon aujourd'hui, toi tu fais l'examen neuro, tu t'en sors bien là-dessus, moi je fais l'abdomen, Antoine les poumons et Johanna le cœur. Et si vous entendez quelque chose avec le stétho, vous nous dites, hein ! Et la semaine prochaine, on tourne". Devant un patient interloqué, bien sûr.

Et là, vlan, mon chef rentre en trombe dans la chambre : "Hé, ça fait 1h30 que t'es là, je me suis dit qu'il serait peut-être temps de débriefer !". Ah oui, quand même sachant qu'il nous avait donné quarante minutes pour notre première. "On ne m'a jamais posé autant de questions !" déclare le patient pendant qu'on se serre la pince. J'espère bien. Car c'est ce qui arrive quand on ne connaît pas encore la médecine et qu'on ne sait pas orienter un interrogatoire. Et au final, ce n'est pas plus mal de se faire montrer les photos des dernières vacances de ses patients.

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